Auberge du Levant

Siyel sourrit et rangea son précieux recueil à signatures dans sa besace. Il ressortit le livre, qu'il lisait auparavant, sans s'en rendre compte, comme s'il s'agissait d'un tic irrépressible. Il le parcourut rapidement, et le referma avec douceur.

Siyel se leva brusquement, dardant un regard indéchiffrable sur Ahekeb. Il trouvait la situation tout simplement frustrante. Voilà que Hindell allait arriver avec ses gros sabots (et encore il pourrait s'estimer heureux que ce ne soit pas avec des bottes renforcées d'aciers) anéantir la grandeur de la plus splendide des cités. Comment ces brutes pouvaient-elles annihiler le faste de Caliia? Alors qu'elles ne comprenaient certainement pas le sens de ces mots.
Il s'adressa à Ahekeb, d'une voix sonore, teintée d'une once de démence, comme s'il ne craignait plus alors qu'on puisse l'entendre. La vérité est qu'il s'en moquait comme d'une guigne, des accusations qu'une magicienne étrangères, qu'un mage de seconde zone, et qu'une aubergiste pourraient porter contre lui...

Je refuse de rester les bras croisés tandis que ces incultes sous l'excuse de leur folle religion, envahissent notre cité, dévastent nos terres, et volent notre magie.

Siyel n'aurait pas exprimer davantage de dégoût s'il avait du assister sans bouger au viol d'une jouvencelle.

Phaëris est à nous et non à eux. Ils ont les armes, mais seule la magie peut tenir Phaëris, et seul Phaëris peut ordonner à Phaëris, par le droit du sang. Or voilà que de ma honte naît ma chance. Car bien que j'ai pris soin de le cacher depuis toutes ces années, je suis le demi-frère du défunt roi, Le père ayant été aussi volage que le fils, reconnut-il amèrement, les yeux si sombres, qu'on pouvait par chance n'y lire que difficilement le regret qu'il éprouvait de ne pas l'avoir poussé lui même dans la tombe.

Ce qui m'a vallu une place au palais, et la chance d'y vivre mais je refuse d'assister en fermant les yeux à la chute de mon royaume, sous prétexte que je suis né du mauvais côté des draps. Mon "père" avait craint que de telles circonstances nous frappent un jour, et je possède la preuve que mes revendications sont fondées.

Il aurait pu leur brandir la preuve écrite sous le nez, mais il craignait qu'ils ne fassent le lien, entre le document, sa collection d'écriture, et ses prodigieux talents de faussaire dont il se félicitait de n'avoir pas fait étalage devant eux...

Suivez-moi Ahekeb, relevons Phaëris, certes pas en un jour, en mille s'il le faut, dans le secret de ses sombres ruelles, sans éclat ni prestige, mais faisons ce qui doit être fait.

Il laissa son regard errer dans la pièce, jaugeant ses quelques occupants du regard, cherchant s'il pourrait attendre d'eux quelque soutien, où s'il devrait déjà rédiger des aveux compromettants et les signer de leur noms, ou les dénoncer aux gardes de Hindell.

Mais laissez moi me présenter, je suis Nostia d'Elleriande, enchanteur et roi de Phaëris. Je vous invite à vous incliner devant les seules lumières qui n'aient jamais éclairé Phaëris : l'éclat du soleil sur le sable du désert, celle du feu attisé par le vent, et l'étincelle de la terreur dans les yeux de nos ennemis calcinés.

Et il en ressentit du soulagement, certes l'ambassadeur connaissait certainement son vrai nom, mais il était plus prudent de masquer son nom. Mais la vraie motivation qui l'habitait en faisant cela, était la souffrance que ressentirait sa pauvre mère si jamais elle avait vent de sa folie. Et nul mensonge, nulle contrefaçon ne pourrait apaiser la terreur qui la hanterait si jamais elle apprenait que son fils se faisait passer pour ce qu'il n'était pas, pour entraîner derrière lui les ruines de Phaëris, pour lutter contre un tyran titanesque, qui d'un revers de main sur l'échiquier du monde, pouvait balayer la cité des sables, sans profit mais sans perte.

Mais il n'était pas question de laisser apparaître ses doutes.
°J'ai chassé Alcynia d'Aliagan de Phaëris, et certainement pas pour l'offrir à Hindell! Phaëris sera libre ou je mourrai! °
Et s'il devait attendre mille ans sa vengeance dans les sombres cachots de Hindell, cela n'en rendrait que plus délicieuse sa victoire...

Ahekeb laissa parler Siyel jusqu'au bout et sans faire le moindre geste pour lui demander de s'arrêter. Il le fixait d'un air calme mais en secret il tournait et retournait chaque phrase du bibliothécaire.
Un silence s'installa à la fin du discours de Siyel. Le silence dura assez longtemps pour qu'Ahekeb puisse poser son regard alternativement sur Isowen, sur les personnes présentes dans l'auberge et sur le Siyel. Il avait l'air un peu fou, vu d'ici... Mais mon ambassadeur ne l'était pas et savait parfaitement quels sentiments animaient son compatriote.
Ahekeb inspira un grand coup et fit signe à Siyel de se rasseoir avant de prendre la parole avec un ton posé mais une voix légèrement plus forte, comme si il s'adressait à une classe...

"- Si vous êtes vraiment celui que vous prétendez... Et même si vous ne l'êtes pas... Revendiquer la couronne à Hindell est un acte suicidaire. Il nous a attaqué parce qu'il en avait la force. Il a aussi assez de force pour nous massacrer si il le faut.
Phaëris ne va pas tomber parce qu'un autre royaume l'a envahi. Mais se révolter maintenant ne résoudrait rien. Connaissez-vous bien l'armée d'Hindell ? Ses guerriers sont des meilleurs. Les tuer un pas un avec la magie serait long et reviendrait à déclarer une guerre ouverte entre Phaëris et Hindell, ce qui rendrait encore plus dur le combat.
Savez-vous combien sont les Hindells ? Leurs soldats sont nombreux et bien entraînés mais si l'on compare à ceux qu'ils nous cachent... Au combat, nous n'avons aucune chance. Aucune. Du moins, pour le moment.
Une révolte est toujours envisageable, mais pas maintenant. Hindell est trop puissant et nous sommes sans défenses. Il faut attendre un moment de faiblesse de sa part ou un miracle de notre côté. Si nos mages savaient se défendre, si nous avions les meilleurs armuriers de Vaelya, nous pourrions y réfléchir.
Mais je vous le répète, il est hors de question que Phaëris fasse quoi que ce soit pour le moment. Vous voulez assassiner le roi Draggan ? Allez-y: il est soutenu par tant de gens que vous vous ferez tuer nous pas une mais dix fois. Vous voulez soulever le peuple contre Hindell ? Alors c'est que vous aimez et les massacres sanglants et les défaites rapides. Utiliser la magie reste une solution mais il faudrait vraiment une magie très puissante et assez rapide pour ramener nos chers envahisseurs chez eux et suite à cela il faudrait une organisation géniale pour nous trouver un nouveau roi. Vous êtes le demi-frère du roi ? C'est bien. C'est très bien. Mais sauriez-vous nous gouverner ? Est-ce que notre royaume vous ferait confiance ? Et si, comme vous l'avez dit, votre père est aussi volage que votre frère, ne croyez-vous pas qu'il y aura d'autres prétendants à la couronne ?
Nous ne pouvons pas nous révolter comme ça, juste par colère et par honte. La révolte que vous voulez, celle qui sera couronnée de succès, devra se faire calmement et avec sûreté lors d'un moment de faiblesse d'Hindell... Et à l'abri des espions potentiels."

Son regard passa sur la salle et il passa derrière son oreille une mèche rebelle.

"- Mais il faudra aussi des raisons valables pour se révolter."

Il soupira. Pour tout Phaërissien ici présent, les raisons étaient déjà données. Lui aussi les voyait. Siyel lui avait même montré des raisons bien suffisantes...

"- Nous ne pouvons pas agir sous le coup de la colère. Nous devons attendre. Si nous voulons l'indépendance de Phaëris, il va nous falloir un instant rester sa province. Tôt ou tard, il commettra -ou ne commettra pas- une erreur qui sera une raison encore meilleure que celles auxquelles nous pensons tous....
Et si il ne commet aucune erreur, nous pourrons encore revendiquer nos droits d'une façon diplomatique. A priori, les Hindells ne sont pas de gros barbares et le discours devrait être possible."

Ahekeb marqua une pause. Il voulait entendre Siyel. Il voulait que la voix de Siyel soit plus forte que la sienne....

[HJ: yaaaah !! ça fait du bien d'écrire !]

Siyel ne se rassit pas, il avait depuis des lustres perdu l’habitude d’obéir à d’autres que le roi. Et les seules autres personnes à qui il eut jamais obéi, étaient ses pauvres parents, et le vieux bibliothécaire. Il fut également soulagé que dans la paix de son tombeau, le vieil homme n’apprendrait jamais la folie de ses actions.

Paisible et indéchiffrable, il rangea mentalement Ahekeb dans la catégorie des gens qui craignent pour leur vie. C’était louable de sa part, d’une certaine manière. Et cela rendait son appui d’autant plus nécessaire. On suit plus volontiers les fous quand on voit que des gens plus raisonnables que soi en font autant…

Phaëris ne va pas tomber, non. Mais elle ne sera plus jamais ce qu’elle était. A moins que, pour vous, les troupes de Hindell et leurs pénibles aristocrates, soient une composante normale du paysage de Caliia ? Hindell veut notre puissance, non notre appui, et je doute que nous utiliser à leurs fins sans que nous n’en tirions aucun avantage soit contraire à leurs bonnes mœurs. Et lorsque nous serons réduits à l’état de moutons adorateurs de l’éclat du jour, il sera trop tard pour chasser les brebis galeuses, car elles auront envahies nos rangs.

Siyel parlait sur un ton naturel, et légérement excédé, le ton de qui se retrouve contraint d'expliquer des évidences à des enfants récalcitrants.
Mais en l'occurence, il ne s'agissait pas de ne pas corner les pages d'un livre, et Siyel, continua, aussi patient que consterné :

Mais je n’envisage rien d’aussi noble qu’une guerre. Si vous croyez que je vais me jeter sur l’armée de Hindell l’arme à la main, vous êtes encore plus dément que je ne le suis. Même si l’idée d’en assommer un ou deux à coup de livres me tenterait bien, histoire de voir s’il n’y a vraiment aucun moyen d’introduire un peu de cultures dans leurs stériles cervelles…

Je ne chéris pas d’autre honneur que celui d’être né sur les terres de Phaëris. Je propose simplement de leur nuire, de manière assez lâche et discrète, pour qu’il ne puisse cibler la cause de leurs malheurs, et qu’ils aillent se faire pendre ailleurs.
Siyel dit ces mots avec circonspection, et apparemment sans réaliser que ce n’était pas le ton qui convenait à pareils propos.

Je veux les dégoûter de Phaëris. Qu’ils en aient assez de ses rues suffocantes et poussiéreuses, de sa magie omniprésente, et de sa politesse condescendante.
Il eut un rictus moqueur, comme s'il s'attendait à ce que l'on retourne ce dernier reproche contre lui.

Je gouverne mieux que ne le font le chaos et l’anarchie agissant de concert. Et si je suis trahis par les miens, au pire nous retrouverons-nous dans la situation actuelle une fois de plus…

Le ton suffisant du bibliothécaire ne lui ressemblait pas vraiment. C’était là un rôle qu’il jouait avec adresse et il eut un instant la certitude qu’il pourrait se faire passer pour autre qu’il n’était.

Siyel feignit l’étonnement, et scruta l’ambassadeur avec attention.

Des raisons valables ? Je conçois que vos fonctions vous rendent enclin à ménager nos bien-aimés voisins. Mais je crois savoir que notre bon roi n’a jamais ratifié aucun traité autorisant Hindell à s’installer à nos portes et à porter atteinte à ses jours.

Ne vous y méprenez pas, Ahekeb. Je ne suis pas « en colère » je suis écœuré, rétorqua-t-il sur un ton légèrement guindé, mais d’un calme agaçant.
Car Siyel était avant tout un bibliothécaire. Il n’avait pas l’habitude de hausser le ton, préférait les regards meurtriers aux éclats de voix, et lorsqu’il laissait le silence s’installer, ce dernier se mettait à son aise, dense et solennel, et le briser semblait alors devenir sacrilège.

°L’erreur qu’il a commise et celle de croire que Phaëris se ferait une joie de lui baiser les pieds pour avoir tué son roi !°

Les propos de l’ambassadeur arrachèrent un sourire à Siyel.
Si je n’attachais pas d’importance à votre vie, je serais ravi d’emprunter la voie diplomatique. Mais je pense que le seul droit que nous reconnaisse Hindell est celui de nous taire en les observant du coin de l’œil et à genoux, savourer leur victoire…

Siyel n’était pas suffisamment stupide pour laisser filer Ahekeb, -et surtout pas pour qu’il se précipite dans le camp de Hindell- tant qu’il ne saurait pas dans quel camp celui là se rangerait. Au pire il n’aurait pas volé sa signature pour rien.

L’amertume assombrissait son visage, et la froide résignation qui brillait dans ses yeux, évoquait les lueurs dansantes que peut faire naître sur les murs, une bougie dans une pièce obscure.

[HJ : oui c'est pas faux! ]

L'attitude de Siyel commençait à déplaire sérieusement à l'ambassadeur qui faisait des efforts olympiens pour garder son calme. Après un dernier regard d'excuse à Isowen, il se leva, ne pouvant faire s'asseoir Siyel. Une main posée sur la table, l'autre posée sur l'arc court caché dans son manteau, il commença :

"- Siyel, imaginons un moment que le roi Draggan ai déjà fait de moi son espion.... Imaginons... J'ai donc entendu tout ce que vous avez dit. Que fais-je ? Je pars en courant chercher mon très cher souverain et je lui rapporte toutes vos idées exactement comme vous les avez dites. Que fait alors Draggan ? Il vous fait enfermer, au mieux. Et pour les autres habitants de Callia ? Afin d'éviter qu'ils aient des idées aussi folles que les vôtres, Draggan pourrait très bien prendre des mesures.... Beaucoup moins sympathique.
Je ne suis pas un espion, c'est une chance pour vous -et pour les autres personnes ici présentes. Je suis ambassadeur. Et voici ce que je vous propose:
Il serait très fâcheux pour Hindell d'avoir comme ennemi premier sa propre province. En transformant vos paroles pour les rendre moins violentes et directes, je les ferais passer pour celle d'un habitant lambda de Callia et lui proposerait de trouver quelques solutions. Si il a un tant soit peu d'intelligence, il devrait améliorer notre situation.
C'est tout ce que je peux faire et je sais que c'est presque rien -pour ne pas dire rien du tout. Le résultat obtenu n'est pas celui que vous désirez, soit. Mais avec ça, ne peut-on pas faire quelque chose ?
Avoir Hindell contre nous, Siyel, c'est signer notre arrêt de mort. Même si nous arrivons à dégoûter les Hindells de notre royaume, ça ne les empêchera pas de rester, même si ils doivent être transparents. Que vous le vouliez ou non, nous sommes actuellement et allons rester un certains temps province d'Hindell. Ne croyez pas que cette situation me fasse plaisir, j'en souffre autant que vous. Mais je vous le répète: dans la situation actuelle rien n'est envisageable. Trop d'erreurs seraient commises à agir maintenant.
Cependant votre idée est intéressante par ce qui peut se faire après. En réduisant la pression d'Hindell sur le royaume, il est forcement plus simple de lui planter un poignard dans le dos. Mais le retour de lame peut être violent et il faudrait un appui à Phaëris pour se sortir de sa situation..."

Ahekeb marqua un arrêt, juste pour s'étonner ("qu'est-ce que je viens de dire ?").

"- Nous ne pouvons pas agir seuls sans autres armes que nos vies et notre magie. Un allié est indispensable..."
*Je commence à avoir du mal à me suivre... Tant pis, je continue...*
"- Siyel, je suis de tout coeur avec vous. Mais par pitié, attendez avant d'agir. C'est en fonçant tête baissée que le taureau rencontre un mur...
Attendez, mais pas trop longtemps. D'ici on peut sentir que vous arriverez à vos fins."
*Me concernant, je sens surtout une odeur de... D'abricot ?*
"- On en est presque à se demander pourquoi vous n'êtes pas devenu connétable...."

Ici, Ahkeb décida qu'il avait assez parlé. Sa main s'était serrée sur son arc court: il la fit tomber dans sa poche et envoya à Siyel un discret sourire en coin. Sans savoir pourquoi, il commençait à bien aimer ce bibliothècaire....

Depuis quelques heures, il y avait de l'annimation dans l'auberge. Bien entendu, les sujets qui revenaient souvent c'était la mort du roi et la prise du pouvoir de Phaëris par le roi d'Hindel.

Toutefois, l'apparition du garde royal du roi Draggan Feu Dragon avait refroidi l'assistance. D'une manière judicieuse et très dicipliné, il avait annonçé la nouvelle et les nouvelles règles que le peuple de Phaëris devraient suivre à partir de maintenant.

Le soldat avait appaisé les craintes de certains et mit en colère d'autre que le jeune bibliothécaire avait enflammé par son précédent discours sur la révolte.

Malgré ce remu ménage, la bière coulait à flot, des odeurs alléchantes se faisaient sentir. L'auberge du levant fonctionnait à plein régime.

L'aubergiste se dit même qu'il allait devoir engager quelqu'un afin que les clients est plus de service et l'attente moins longue.

Isowen avait dû quitter à regret la table de l'ambassadeur pour aller aider son père qui ne fournissait pas. La jeune femme avait assisté à la confrontation de l'ambassadeur et du bibliohtécaire. Disons que l'un avait la fougue et la passion et l'autre avait la sagesse et le calme... Les deux avaient le même âge ou presque et tout deux ne possèdaient pas la même flamme dans le regard. La jeune femme avait regardé l'assemblée durant le discours de l'un et de l'autre. Elle devait se l'avouer Siyel avait allumé une étincelle dans le coeur des Phaërisien présent. La jeune aubergiste ne connaissait rien en la politique ni en la diplomatie, mais elle était du même avis que l'ambassadeur. Il ne fallait pas partir un feu dont personne n'était sûre de le métriser. Il fallait attendre, comprendre le roi d'Hindell, selon Iso, mais elle ne le dirait certainnement pas. Elle était loin d'avoir l'éducation de Siyel et d'Ahekeb.

Durant la confratation des deux hommes, Isowen était resté silencieuce et l'avait observé à la dérober. Ahekeb s'était tourné vers elle à plusieurs rerpises afin de s'excuser. La jeune femme aimait bien son regard profond, sa prestance, sa force et son calme apparent... Il était aussi fougueux que Siyel et passionné, mais il restait prudent face au pouvoir. Elle aimait bien son côté calme. Contrairement à Siyel, il ne l'intimidait pas. Il avait un beau sourire et s'inquiètait pour autrui.

Isowen aurait aimé être assi encore avec eux, pour savoir qu'est-ce qu'ils allaient faire maintenant que le pouvoir était au roi Draggan. Elle était plutôt curieuse et inquiète à la fois de connaître la réaction de Siyel à ce sujet...

Les deux magiciens avaient été servi par le père d'iso avec des excuses pour les avoir fait attendre. Un breuvage leur serait servi gratuitement en guise d'excuse, s'il le voulait. Leur assiette était bien garnie et leur repas chaud à souhait laissant monter à leur narine un fumet délicieux.

Siyel était resté coi durant l'intermède de Bethingel. Il avait posé sur le garde un regard poli, curieux de savoir ce qu'il avait à dire, le tout agrémenté de la pointe d'effroi et d'appréhension que ressent le dominé face au dominant. Ainsi, il se fondait dans la masse, être insignifiant parmi d'autres.

Il aurait bien sûr pu s'avancer, et lui faire ravaler ses paroles, lui asséner que Phaëris ne serait dupe de leurs entourloupes, et ne se laisserait pas charmer par de beaux discours sur l'égalité, alors que l'armée de Hindell était aux portes de la ville. Mais Siyel avait encore suffisamment de neurones en état de marche et d'instinct de survie, pour ne pas désirer une mort vaine et gratuite.

Imperturbable, il attendit en silence le départ de Bethingel. Et attendit davantage, vérifia par la fenêtre que ce dernier ne reviendrait pas, et répondit à Ahekeb, dans un murmure, comme s'il craignait que les murs se penchent pour les écouter :

Au moins n'êtes vous pas un espion, sinon c'est vous qu'ils auraient chargé de nous annoncer de si *heureuses* nouvelles.

Soit tentez votre chance, entrez dans l'enclos des loups, et tentez de plaider la cause de Phaëris. Car si celui qu'ils mettent à notre tête leur est vendu corps et âme, il nous sera bien difficile d'aller se chercher des alliés quels qu'ils soient, et je doute qu'Hindell nous simplifie la tâche.
Siyel parlait vite et sur un ton ferme, sans élever la voix, conscient que le moins on risquait de les entendre, le mieux se serait.

Avec un sourire amusé il ajouta :
Je ne suis jamais devenu connétable, car je doute qu'une armée soit ravie de suivre un homme incapable de se battre avec d'autres armes que la magie et les mots.
De plus, le pouvoir ne m'intéresse pas. Il est à mes yeux comme un énorme sac de farine, un fardeau trop lourd à porter, dont il vaut parfois mieux s'emparer que d'en voir d'autres la répandre au sol.

Ahekeb ne répondit à Siyel que par un léger signe de tête, un "ok" discret. Il avala son jus d'abricot en un coup, reposa son verre et se leva.

"- Mieux vaut tard que jamais: je pars tout de suite voir les Hindells."

Il fouilla sa poche. Deux-trois fioles d'il-ne-savait-plus-quoi, des clefs, des bouts de parchemin... Ah ! Des pièces ! Prenant les premières (et les seules) que ses doigts trouvaient, il les posa sur la table avec un dernier regard pour Isowen.

"- J'espère que nous nous reverrons."

Dit-il à Siyel sans le regarder.
Après quoi il sortit, déterminé et presque sûr de lui.

*Pourvu que la chance soit avec moi...*

Vairë attendait patiemment la réponse d'Astyan lorsqu'elle entendit des éclats de voix. Elle tourna vivement son regard vers le bruit sans bouger la tête. Pour voir qu'il y avait de l'agitation à la table de "l'hypothétique ambassadeur". La jeune femme était aussi froide et inexpressive qu'un bloc de glace. Mais la tirade de l'homme à lunettes, non de Nostia d'Elleriande, roi de Phaëris, lui écarquilla les yeux.

"Ah ben ça alors", souffla-t-elle à l'adresse de personne, ou d'un peu tout le monde.

Décidément, cette journée se révélait riche en rebondissement. Voilà que le prétendant légitime au trône se jetait pour ainsi dire dans son assiette. Un homme bien sûr de soi, s'il n'hésitait pas à le crier dans une auberge pleine d'étrangers. Car Nostia, bien utilisé, pourrait être une sacré épine dans le pied de Draggan... Ou un joli prisonnier dans ses geôles...

La magicienne suivit avec attention l'échange animé entre Nostia et Ahekeb. Elle fronça les sourcils, se demandant si on ne devrait pas les séparer avant qu'ils en viennent aux mains, ou qu'ils ameutent la garde. Mais ils se contentaient seulement d'un débat animé et fort instructif. Vairë sourit. On pouvait reprocher à Nostia d'être trop passionné, et à Ahekeb d'être trop prudent. Un duo très intéressant, en vérité. Toute l'auberge les observait, franchement ou à la dérobée. Malheureusement, les soldats d'Hindell choisirent ce moment pour faire leur apparition.

La Laÿnienne sentit son coeur s'arrêter de battre. Puis repartir brusquement. Elle resta néanmoins immobile, seule la pâleur de son visage attestant du trouble qu'elle ressentait.

*Du calme, ils n'ont aucun moyen de savoir qui tu es...*

Et en effet, l'officier n'était là que pour sa déclaration officielle. La jeune femme resta coite, se contentant de lancer à Astyan un regard entendu. Après le départ des Hindell, elle laissa échapper une exclamation méprisante.

"Ah! Hindell, les nouveaux protecteurs de la Loi à Phaëris, ironisa-t-elle. Ils n'imposent rien, ils n'abusent de rien... Et vive la Divine Lumière!"

*Les discours de propagande n'ont jamais été mon fort...*

L'aubergiste apporta leur repas, leur présentant des excuses et leur offrant une boisson en guise de dédommagement. Vairë le remercia d'un sourire, mais elle était pensive. Que devait-elle faire maintenant? Elle ne pouvait pas se permettre de parler à la place de son Roi. Après tout, elle n'était là que pour observer. Et ce qu'elle avait vu pour l'instant, c'est un royaume qui avait grand besoin de soutien. Sauf que c'était à Ventus de décider quoi faire au final, et la magicienne se plierait à ses décisions... Hum, officiellement du moins.

De toutes les façons, il fallait qu'elle en apprenne le plus possible. Elle souffla donc quelque chose à Astyan, se leva et alla aborder l'héritier du trône.

"Accepteriez-vous de vous joindre à notre table, maintenant que votre ami est parti? J'offrirai volontiers un verre au futur roi de Phaëris..."

La jeune femme le fixait, une lueur inquisitrice au fond de ses yeux verts. Elle en avait même oublié sa faim.

[HRP] Désolée Astyan, j'ai posté sans t'attendre >_<[/HRP]

Siyel se fendit d'un grand sourire narquois, qui s'il semblait provocateur, raillait en vérité sa propre bêtise.

°Tu es un idiot Siyel. Si elle n'est pas dupe, elle veut te prendre à ton propre jeu...°

C'est avec plaisir que je partagerais votre table, acquiesça poliment le bibliothécaire, davantage pour savoir ce que Vairë pouvait bien lui vouloir que pour profiter du verre qu'elle lui offrait. Depuis qu'il était entré dans cette auberge, Siyel n'avait absolument rien bu ni rien mangé, et il finirait certainement anorexique.
Au moins, il n'aurait pas la carure d'une personne aisée mangeant à sa fin, et serait peut-être un peu plus difficile à reconnaître, mais c'était un piètre soulagement. Et son estomac n'accepterait pas éternellement pareil compromis.

Au moins la belle étrangère ne semblait pas porter Hindell dans son coeur c'était déjà ça. Peut-être aurait-il été rassuré de voir en elle une magicienne, mais Phaëris recelait tant de magie, que Siyel ne le remarqua pas.

Il avait repris son attitude effacée, calme et posée, celle de celui qui ne sort pas du lot, l'être insignifiant à qui on ne voit pas de raison d'adresser la parole. Mais ses yeux brillaient toujours d'une ferveur nouvelle, du feu de Phaëris qui embrase toute chose, jusqu'à la poussière du désert.

L'auberge était devenu plus calme. Il y avait encore des chuchottements. Les phaërisiens étaient des gens simples et la pollitique pour eux n'était pas une de leur occupation favorite, mais il tenait à leur Cité. Caliia était la capitale de la magie et de la chaleur, disons-le.

Dans l'auberge, toutes les fenêtres étaient ouvertes, afin de laisser entrer l'air qui pourrait s'y glisser de temps en temps. Isowen apporta l'assiette qu'elle avait promis à Siyel. Repas fait par elle-même, omellettes aux jambons entourées d'une généreuse portion de légume frais.

Elle constata que ce dernier avait changé de place. La fille de l'aubergiste déposa sa grande assiette devant lui ainsi qu'un délicieux breuvage fruité et légé. Elle fit un petit salut discret à la dame avec le bibliothécaire et le jeune homme qui était avec elle. Puis, elle se dirigea vers la table où se trouvait il y a peu l'ambassadeur. Elle la nettoya, ramassa les pièces d'or et partit au comptoir où elle rangea le tout très soigneusement.

Puis, avec un énorme soupir de soulagement, Isowen put enfin s'assoier. Elle était épuisée, mais fière d'elle. Elle aurait besoin d'un massage ce soir, se dit la jeune femme d'un air rêveur. Son père était finalement partit se coucher. Elle avait dû le pousser afin qu'il l'écoute. Il était comme elle, il adorait son métier, mais son corps ne le suivait plus comme avant.

Iso aimerait bien que son père engage un autre employé, car... Elle aurait bien aimé aller visiter le château, la bibliothèque...et revoir l'ambasaseur qui sait, pensa la jeune aubergiste. Son regard s'arrêta de nouveau sur la table de Siyel.

*J'espère qu'il va aimer ma cuisine.*

Vairë se contenta d'acquiescer à la réponse de Nostia. Pourquoi aurait-il refusé, en effet? Mais en se retournant, elle eut la surprise de voir qu'Astyan avait disparu.

"Eh bien, on dirait que mon compagnon en a profité pour disparaître..." Dit-elle, mi-amusée, mi-énervée.

*Décidément, j'ai une trop fâcheuse tendance à faire fuir les hommes...*

Où était-il passé? Et pourquoi? La magicienne aimait les situations sous contrôle, et là, tout ne faisait que déraper. Elle ne montra rien de son trouble au bibliothécaire, mais pesta intérieurement contre cette journée. Enfin, il n'appartenait qu'à elle d'utiliser les informations reçues à l'avantage de Laÿna...

S'asseyant à sa table, elle désigna les divers mets qui l'encombrait.

"Servez-vous, je vous prie. Il y a suffisamment à manger pour plusieurs."

Son sourire s'effaça brusquement et la jeune femme reprit son traditionnel air froid et distant. Elle se servit à boire, soupira et entama la réelle conversation, celle qu'ils attendaient tous les deux, franche et sans artifices. Enfin, franche... Vairë ne serait jamais totalement franche... Voilà le propre de l'espion, et tel était son rôle. Dire que quand elle sortait enfin le nez de son laboratoire, c'était pour extorquer des informations à un royaume envahi.

"Vous avez bien parlé, messire -est-ce ainsi que je dois vous appeler? Mais de façon fort peu prudente, malheureusement... Des Phäerissiens prêt à vendre des informations à Hindell, il doit en exister. J'espère seulement que mon compagnon de table n'en faisait pas parti... Et qu'il n'est pas en train de courir voir les soldats de tout à l'heure."

Etait-elle ironique? Qui sait... Vairë regarda approcher Isowen avec l'assiette de Siyel sans rien dire. Puis, quand la jeune fille s'éloigna, elle reprit calmement.

"Phaëris ne peut pas s'en sortir seul, je le crains. La désorganisation est fatale, surtout face à une armée."

C'était une simple entrée en la matière. La jeune femme commença à manger, attendant la réaction de son interlocuteur. Pour elle, il ne faisait aucun doute que Siyel était intelligent et déterminé. Un peu trop passionné, peut-être, mais ce défaut pouvait être tourné en qualité. Une redoutable arme dirigée contre Hindell? L'avenir le dirait.

Pardonnez lui cela, par les temps qui courent, je ne serais pas surpris que quelque urgent devoir l'appelle loin d'ici...

Siyel faillit refuser l'offre et encourager galamment Vairë à se servir en premier, mais il fut trahi par un gargouillement d'outre-tombe, son estomac jugeant que s'il se retenait de manger plus longtemps, Hindell pourrait déléguer un enfant armé d'un brin d'herbe pour l'anéantir.
Il écouta parler la magicienne sans mot dire. Et lorsqu'elle eut finit, s'imposa un silence pesant, mais Siyel n'ayant jamais eu l'habitude de parler la bouche pleine, finissait consciencieusement sa dernière bouchée. (Quand on voit le massacre que peuvent des mains grasses sur un livre, on devine sans peine la vision apocalyptique que pourraient créer des postillons.)
S'essuyant la bouche, il répondit sur un ton d'une neutralité effrayante, celui qu'on emploie pour donner des indications machinales, répétées cent fois déjà.
Il y en a sans doute... Mais celui qui vend Phaëris n'est plus de Phaëris... Quand à votre compagnon de table, je pense encore pouvoir démentir les accusations du premier mage venu... Voyez-vous, je n'ai toujours pris part que dans l'ombre aux débats politiques... Mais ma position n'en est pas moins confortable, il vaut mieux, selon de nombreux avis, couler des jours paisibles et poussiéreux au palais que d'essuyer les tempêtes désertiques pour sauver les murs et le savoir de Caliia. Je pourrais donc encore plaider qu'il cherche à m'évincer pour obtenir ma place... Quant à vous, très chère, je vous sais étrangère, et je n'ai jamais connu d'alliés à Hindell. A peine une poignée de traîtres attirés par l'appât du gain, tout au plus.

Sans prendre la mouche, il répondit d'une voix mielleuse :
Et bien si vous cachez une armée sous votre veste, prêtez la moi, je vous promets d'en faire bon usage...
Il ajouta d'un ton plus sérieux :
Je ne nie pas la démence de mon entreprise. Mais même un brin d'herbe peut couper, et ce jusqu'au sang.