Salle du trône

Après avoir passé les portes de l’immense citadelle, Hasam se dirigea vers la salle du trône. Nombres de servants et de gardes le saluèrent, et il mettait un point d’honneur à leur rendre leur salut, à leur faire quelques compliments, ou à leur donner l’accolade.

Arrivé devant les énormes portes sculptées, il flatta son molosse de compagnie d’une tape sur le sommet du crâne. L’entrée était gardée par deux soldats à l’imposante stature. Ils portaient le harnois complet, une carapace d’acier qui les moulaient étroitement et leur couvrait tout le corps : des spallières et du corselet qui étreignaient leurs épaules et leurs torses, aux canons de leurs avant-bras, à leurs gantelets, aux tassettes, aux cuissards et aux grèves qui leurs protégeaient les jambes, jusqu’aux solerets de métal qui couvraient leurs bottes munies d’éperons.

Il leur sourit, et s’avança vers les lourdes portes, suivi de près par Damu. Celles-ci, sans émettre le moindre son, s’ouvrirent lentement, par on ne sait quelle force obscure.

« Grand Roi d’Aliagan, votre humble et modeste serviteur – Hasam Sabbah – vous salue. » S’écria-t-il alors que derrière lui, et sans que personne ne les touche, les portes se refermaient.

L’animal s’était allongé nonchalamment près de l'entrée, aux pieds d’une énorme statue de marbre. Hasam était lui agenouillée, tête basse, un coude sur son genou droit relevé. Il attendrait ainsi jusqu’à ce que le Roi daigne lui répondre…

La voix du jeune roi ne tarda pas à se faire entendre, invitant Hasam à se relever. Celui-ci demeura quelques secondes de plus dans la même position avant de s’exécuter. Ses yeux se posèrent sur Trinir, en même temps qu’un sourire naissait sur son visage, semblable à une fleur qui éclot le premier jour du printemps. En guise de soleil, Trinir : ses yeux couleurs d’émeraude, ses boucles dorés lui arrivant aux épaules, ce petit visage à la fois enfantin et grave… Un roi-soleil, oui, à n’en point douter.

« Pour tout vous dire, je venais prendre simplement de vos nouvelles… Hasam s’approcha du roi – en demeurant à distance respectable – et continua, sur le ton de la confidence : Et pour tout vous dire, j’espérais que le Régent ne soit pas là, afin qu’une fois n’est pas coutume, nous puissions discuter l’esprit tranquille »

(((Pauvre petit, être sous la main d’une crapule comme Kâhak…))) Pensa-t-il, alors que son regard ne quittait pas Trinir.

De mémoire de mage, c’était la première fois que le jeune roi s’exprimait de la sorte. Il n’avait certainement pas tord, en pensant que Kâhak était un dictateur maladroit et tyrannique. Incompétent, donc ; il en était persuadé en tout cas.

« Parfaitement, je vous remercie Majesté. Il marqua une pause de quelques secondes, jetant un coup d’œil en direction de son chien, avant de claquer des doigts à son attention. Aux pieds, Damu. » L’animal se releva lourdement, secoua légèrement la tête puis s’approcha de son maitre, sa muselière de cuir entravait toujours son énorme gueule.

« Oserai-je à mon tour vous demandez comment vous vous portez, Majesté ? »

((( Il sera bientôt l’heure d’agir, ce me semble. Ce garçon est plus mature que bien des adultes…)))

D’un petit pas, Hasam s’approcha encore du jeune roi, un sourire chaleureux toujours collées aux lèvres. Il se demandait quelle cabriole il pourrait exécuter pour divertir le jeune monarque. Faire le fou du roi en créant quelques artifices et illusions lui avait semblé au départ une bonne idée, mais en se retrouvant face au jeune Trinir, cela lui apparut comme pure stupidité. Non, il fallait le traiter en adulte… Faire et dire l’exact inverse de Kâhak…

Hasam leva un sourcil au plafond, alors que le molosse se mettait à renifler les pieds du monarque en remuant la queue. Il se racla la gorge, puis reprit sur le même ton de confidence, si bien qu’il fallait être très près de lui pour pouvoir l’entendre :

« J’espère que Kâhak ne vous tourmente pas de trop ? » Une moue méprisante durcit ses traits, une seconde. Il réouvrit la bouche pour continuer mais se ravisa finalement, convaincu que son expression suffisait à exprimer son ressenti.

Oui : il fallait que ce soit le Roi qui l’invite (l’incite ?) à exprimer de façon plus ouverte son mécontentement à l’égard du régent. Et pour se faire, il fallait se baser sur autre chose qu’une intuition, si bonne soit elle.

« Mais… j’allais oublier : j’ai un présent pour vous, Majesté. Hasam plongea une main dans les manches de ses multiples robes. Ses sourcils se froncèrent légèrement, lui donnant l’espace d’un instant un air absent. Bientôt, Hasam était de nouveau à genoux, tête basse – et Damu, son chien, s’était aussitôt coucher à ses cotés – ses mains étaient relevés au niveau de son front. Il présentait au roi une simple feuille de parchemin, jaunie et flétrie par le temps. A ses extrémités avaient été scellées deux tiges de bois d’ébène, pour que l’on puisse enrouler la feuille sur elle-même.

La feuille semblait fragile mais était à la fois ferme et douce au toucher. Si le Roi daignait baisser les yeux sur ledit parchemin il n’y verrait rien de particulier…

« Etrange cadeau que cette page blanche, me direz vous, Majesté. Sa voix était profonde, ses lèvres se mouvaient lentement, comme s’il voulait donner à l’instant une certaine gravité. Gardez la précieusement avec vous, vous vous rendrez bien vite compte que cette innocente feuille pourra vous être des plus utiles… Une nouvelle pause, qu’il laissa s’étaler, pour reprendre en un chuchotement à peine audible : Et souvenez que si le renard prend soin de lui, les Dieux prennent soin du Lion. »

Un formidable pas en avant. Risqué, à n’en point douter, mais il était persuadé de pouvoir s’en sortir si on l’accusait de fomenter quelques complot… Après tout, qui comprendrait que c’était là un mot de passe qu’il utiliserait dans le future pour communiquer avec le roi ? Qui, de même, comprendrait que le renard était ici nul autre que Kâhak et le Lion le roi ? Qui, enfin, comprendrait que les seuls Dieux étaient nul autre que Lui et les plans qu’il avait en tête ?

« S’il vous plait, mon Roi, ne posez point de questions, prenez et rangez ce présent, et les réponses viendront vite. D’elles-mêmes. »

Hasam réprima l’envie qu’il avait d’ébouriffer les cheveux du jeune garçon. Il ne pouvait pas, non. Après tout, il était le Roi d’Aliagan. Le mage se releva et joignit les mains dans son dos.

« J’ai tout à l’heure croiser le Régent accompagné d’une charmante demoiselle… Ils semblaient avoir fort à faire. Vous la connaissez, peut être ? »

Il avait posé la question le plus innocemment du monde, laissant son regard virevolter de gauche et de droite, après s’être attardé sur le magnifique trône sculpté. A ses pieds, Damu semblait ravi qu’une personne autre que son maître daigne s’occuper un peu de lui. Sa queue – ou plutôt le moignon qui constituait sa queue – remuait frénétiquement.

(((Kâhak, kâhak, kâhak…)))

Pendant quelques secondes, Hasam eut le regard vague, comme si son esprit s’était perdu dans les méandres de ses pensées. Au même moment, Myrddin pénétra dans la pièce, salua le roi d’une façon plus que déplacée et – blasphème ultime – ne lui accorda pas même un regard.

(((Pisse-trois-gouttes ! Mériterais que je te pende par ta putride tripaille au premier arbre venu !)))

En croisant les bras, il foudroya le nouvel arrivé du regard, et s’écria sur un ton des plus solennel :

« D’autres seraient brulés vifs pour moins que ça. Il fronça légèrement les sourcils, s’imaginant vraisemblablement quel odeur échapperait du cadavre de Myrddin, avant de rajouter : Myrd-din.

Faites attention, surtout, car si l’audace est un lieu riche en trésor pour qui désire et sait les apprécier, il est surtout perilleux, souvent mortel pour le marcheur qui n’en connait pas les sentiers. »

Il agrémenta sa réplique d’un petit signe de tête. Un salut, peut être.