Appuyée sur la rambarde de pierre du balcon, elle observait la mer prendre des teintes irisées sous les rayons du soleil matinal. Et au delà, la mer mourrait contre les côtes des royaumes -"l'autre monde" comme certain l'appelaient ici. Et elle devinait plus qu'elle ne voyait la citée marchande et sa fière citadelle, son souvenir ayant échoué depuis longtemps à s'effacer de sa mémoire.
Un regard en contrebas la rasséréna. Elle n'avait eu le vertige, les hauteurs ne la troublaient en rien, mais, enfant, elle ressentait une frayeur incommensurable du vide, la peur d'une chute fatale.
La magie avait annihilé sa peur. L'assurance qu'elle puisse disparaître à temps l'avait délivrée.
Et pourtant ce n'était qu'une vaine illusion. Le prix à payer pour un tel acte de magie et le risque d'apparaître dans un lieu plus périlleux encore n'avait rien de rassurant. Mais, la conception du temps se jouait de son esprit, et elle ne voyait que le profit immédiat, sans faire pour autant le lien avec le risque encouru.
C'est ce qui l'avait perdu à Phaëris. La ville recelait des richesses qu'elle n'avait jamais imaginées. Elle se croyait bonne espionne, cela tous l'avait cru, même la défunte reine d'Aliagan, elle, qui pourtant aurait été prête à soupçonner les brins d'herbe de duplicité. Prête à tout pour la grandeur d'Aliagan, prête à vendre Phaëris au plus offrant, qui ne pouvait être autre que la grande cité marchande. Et finalement c'est eux qui l'avaient acheté. Le pouvoir, la richesse, l'orgueil, la certitude aveugle de se savoir au-dessus des autres lui avaient tourné la tête. Elle était devenue leur reine, s'était fait des ennemis de ses alliés, des alliés de ses ennemis. Et maintenant qu'elle était partie, il ne lui restait plus que des ennemis.
Cette pensée lui gela le coeur, et insensible à la fraîcheur des bourrasques matinales, elle laissa le vent jouer avec ses cheveux défaits.
A Phaëris, elle ne retournerait peut-être jamais. Dans les rues de Caliia, elle avait ouvert les yeux, comprit ce qu'elle était et ce qu'elle n'était pas. Rien ne l'attachait plus à Phaëris, même si elle y avait découvert le désir d'apprendre et la soif de pouvoir, dont on peut s'enivrer mais que l'on ne peut étancher.
Retourner à Arvensis était bien plus tentant, et bien des fois elle s'y était risquée, avec la même naïveté que l'on a lorsque l'on s'adonne à une drogue en s'efforçant de se persuader ne pas en être dépendant...
Lorsqu'elle fut lasse de ce spectacle blasant, elle détourna les yeux, et quitta les lieux.